Bâle III - Le voyage de l'or vers la lune et retour Introduction

Avec la mise en œuvre des cadres de Bâle III, le statut de l'or s'attend à des changements massifs. Cependant, quelles sont les conséquences de ce cadre?

Elementum Metals: 31/03/2021

Bâle III est un ensemble de règles réglementaires internationales basées sur l'adéquation des fonds propres des banques, les tests de résistance et la liquidité générale du marché́. Il vise à̀ améliorer les 3 caractéristiques clés de la réglementation, de la supervision et de la gestion des risques des banques. Bâle III a été approuvé par les membres du comité́ de Bâle en novembre 2010 et a été reporté à nombreuses reprises, sa dernière mise en œuvre étant prévue pour le 1er janvier 2022.

La raison principale pour la création de ces règles était une réponse à la crise financière de 2008 et particulièrement à la mauvaise gestion et réglementation financière des banques concernant les prêts hypothécaires à risque. Dans cet article, j'examinerai les implications principales de ces règles sur les banques de compensation et les banques centrales, pour en déduire l'impact global sur l'or.

Des articles rédigés par Kinesis Money1, FX Street2 et Financial Sense3 estiment que Bâle III sera favorable à l'or. Cependant, cela pourrait ne pas être le cas, car ils ne considèrent qu'un petit segment des règles réglementaires : la façon dont elles affecteront les banques centrales. Bâle III aura également un impact significatif sur les banques de compensation, qui auront la plus grande influence sur le marché́ de l'or, car la majorité des transactions d'or se font par l'intermédiaire de ces banques sur le marché́ de gré à gré de Londres (en moyenne 20 millions d'onces d'or sont réglées chaque jour).

Cet article examinera l'impact de l'or sur les banques centrales et les banques de compensation, ainsi que les solutions réalistes qui peuvent être mises en place par les membres de la compensation, et les conséquences principales potentielles sur le marché́ des lingots.

Bâle III et les banques centrales

Les réglementations de Bâle III considèrent désormais l'or détenu par les banques centrales dans leurs propres coffres ou sur une base allouée, comme équivalent aux liquidités (un actif à faible risque). Depuis 1994, l'or est considéré comme un actif de niveau 3 avec une évaluation de la pondération des risques (RWA) de 50 %. Cela signifie que les banques centrales ne pouvaient appliquer que 50 % de la valeur de leurs réserves d'or à leurs bilans.

Dans le cadre de Bâle III, l'or serait considéré comme un actif de niveau 1 (actif à risque zéro) pour les banques centrales, ce qui permettrait d'obtenir un ratio de valorisation de 1:1 pour l'or, permettant à̀ chaque banque centrale de réévaluer ses réserves physiques à la hausse. L'or monétaire pour les banques centrales est désormais considéré sans risque !

Cela devrait augmenter la demande d'or physique pour les banques centrales, car il a désormais un statut de valeur privilégiée à fins comptables. Il existe des preuves à l'appui de cette affirmation, vu que 2017 fut la plus grande année d'achat d'or par les banques centrales depuis 50 ans (651,5 tonnes), qui, par coïncidence, est la même année durant laquelle l'annonce de l'or devenant un actif de niveau 1 dans le cadre de Bâle III eut lieu.4

Bâle III et l'or

La clause principale d'intérêt dans le cadre de Bâle III qui devrait avoir un impact sur les avoirs en or des banques est le ratio de financement stable net (NSFR) et son impact sur le financement stable requis (RSF) des banques.

Le NSFR est défini comme le montant du financement stable disponible (ASF) par rapport au montant du financement stable requis (RSF). Ce ratio doit être au moins égal à 100 % sur une base continue, illustré ci-dessous5 :

Le NSFR devra être déclaré sur une base trimestrielle par les banques, une fois que la mise en œuvre complète aura eu lieu le 1er janvier 2022.

Définitions du NSFR

L'ASF est le montant de financement stable dont la banque dispose actuellement. Il inclut le capital de la banque, les actions privilégiées et les dettes dont les échéances sont toutes supérieures à un an.

D'autre part, le FSR est le montant de financement dont une banque a besoin pour financer ses actifs et ses engagements hors bilan. En d'autres termes, il représente approximativement le montant d'un actif qui ne pourrait pas être monétisé par une vente ou utilisé comme garantie pendant un scénario de crise de liquidité et qui doit donc être couvert par une source de financement stable.

Comme mentionné dans la section ci-dessus, le NSFR est la proportion des actifs à long terme financés par des fonds stables et est simplement calculé en divisant le ASF par le RSF.

Un point clé à considérer est que le NSFR ne reconnaît fondamentalement que les financements dont l'échéance est supérieure à un an.  Par exemple, si un actif est financé par des espèces, ces espèces doivent être en possession de la banque depuis au moins un an.

En résumé : le NSFR sera utilisé́ pour obliger les banques de financer les actifs à long terme avec de l'argent à long terme (c'est-à̀-dire supérieur à un an) afin d'éviter les pannes de liquidité.

RSF et les métaux précieux

Plus précisément, pour tous les métaux précieux, la décision NSFR exigera la détention d'un FSR de 85 % pour le financement et la compensation des transactions sur les métaux précieux. Il s'agit d'une augmentation importante par rapport au niveau de 0 % qui prévalait avant Bâle III.

Cela signifie que les régulateurs considèrent désormais l'or comme un actif illiquide, dont la détention est plus risquée que celle des actions négociées en bourse (dont l'ERS est de 50 %) et aussi plus risquée que celle de toutes les autres actions (ERS de 85 %).

Exemple expliqué

Cet exemple examinera les implications du NSFR et du RSF du point de vue des banques de compensation. En raison de la décision, 85% de la valeur notionnelle de l'inventaire physique des métaux précieux que la banque possède dans son bilan doit maintenant être couverte par une garantie avec un horizon temporel supérieur à un an. En réalité, ce collatéral sera du cash car il a un FSR de 0%.

Prenons l'exemple d'une banque de compensation hypothétique qui détient des avoirs en or non alloués de 5 milliards de dollars et qui détient 50 % du solde non alloué en or physique, soit une valeur notionnelle de 2,5 milliards de dollars.

En raison de Bâle III et du NSFR, cette banque doit disposer de 85 % de RSF. Cela signifie que pour tout stock de métal détenu, la banque doit désormais fournir une garantie de 85 % en espèces détenues depuis plus d'un an pour couvrir sa responsabilité. Par conséquent, la banque sera obligée de trouver (très probablement en empruntant) 2,125 milliards de dollars de fonds pour satisfaire l'exigence de 85 % du RSF. Par conséquent, Bâle III va être très coûteux pour les banques de compensation vu qu’il détruit leur ancien modèle commercial pour les lingots.

Pour illustrer ces coûts plus élevés, prenons l'exemple suivant : Imaginons que la banque de compensation facture 10 points de base à ses clients directs pour détenir de l'or sur une base non allouée. Maintenant, en raison du NSFR, elle devra supporter des coûts de 100 points de base, par exemple, juste pour emprunter suffisamment de liquidités pour couvrir le RSF. Par conséquent, les banques paieraient effectivement pour le privilège de gérer une activité de compensation.

Solutions potentielles

Il est clair que, du point de vue des banques de compensation, la première réaction serait de répercuter ces prix plus élevés sur leurs clients. Cela pourrait entraîner un déplacement proportionnel des coûts vers le haut sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Cette solution n'est pas idéale car elle pourrait entraver la demande, les agents économiques quittant le marché́ en réaction aux prix défavorables. Toutefois, il existe peut-être un moyen de contourner ce problème :

Les membres de la chambre de compensation pourraient résoudre leur problème de FSR par l'allocation de leurs métaux précieux. Dans notre exemple, supposons que la banque de compensation a 4 clients détenant le pool d'or non alloué de 5 milliards de dollars. La banque peut allouer  l'or (barres) de son bilan à chacun des 4 clients. En convertissant le compte des clients de non alloué à alloué, la banque de compensation peut éliminer l'impact du NSFR sur son activité or puisqu'elle ne détiendra plus d'or sur son bilan. Cela profite bien sûr aux banques de compensation, mais peut encore augmenter les coûts pour les entreprises de lingots d'or, car elles détiennent leur or sur une base allouée, ce qui est plus coûteux que de le détenir sur une base non allouée.

Réponse de la LBMA

La London Bullion Market Association (LBMA) souhaite que les métaux précieux soient exemptés du NSFR, car elle affirme que cela perturberait la compensation des lingots à Londres, qui traite 25 milliards de dollars de transactions d’or par jour. Elle estime que la classification de l'or dans Bâle III est erronée, car la fixation d'un FSR de 85 % (indiquant que l'or est illiquide) a été faite à une époque où les données concernant la liquidité de l'or étaient rares. Ils ont donc effectué leurs propres recherches pour prouver que l'or est en fait un actif liquide et stable. Dans leur analyse de la liquidité, ils ont constaté́ que l'or avait un taux d'illiquidité de 0,000018. Si l'on compare ce chiffre aux mesures de l'Autorité bancaire européenne (ABE) pour les obligations d'entreprises et les obligations d'État, qui sont respectivement de 0,188 et 0,059, et dont le facteur RSF est de 15 % et 0 %, on constate que l'or est très liquide. Plus ce ratio est proche de zéro, plus la liquidité présente sur le marché́ est importante. Par conséquent, Ruth Crowell, directrice générale de la LBMA, a déclaré que cela démontre clairement que l'or est un "actif très liquide".6

En outre, en réponse aux affirmations selon lesquelles l'or n'est pas liquide en période de tensions sur le marché́, la LBMA présente sur son site officiel les chiffres de mars 2020, où le volume quotidien des échanges d'or a atteint près de 100 milliards de dollars à durant une période où les actifs à risque ont subi une pression considérable et où 125 milliards de livres sterling ont disparu du FTSE 100 en une seule journée.

L'ABE évaluera ces appels pour déterminer si les métaux précieux seront couverts, la mise en œuvre étant reportée au 1er janvier 2022.

L'avocat général de la LBMA a déclaré́ qu'il espérait une réduction du facteur RSF de 85 % à 50 %, mais que son objectif ultime était d'obtenir une exemption.

Conséquences possibles

La mise en œuvre des règles réglementaires de Bâle III pourrait avoir diverses conséquences sur l'industrie aurifère. Cette section examine et analyse les réponses principales:

  1. Aucune conséquence : si les règles du NSFR font l'objet d'un appel et sont annulées par l'ABE, mais cela est peu probable.

  1. Forclusion des bullion banks : Leur modèle commercial pour les métaux précieux ne sera plus attractif en raison du FSR. Par exemple, après 23 ans d'activité, la Nova Scotiabank met fin à̀ ses activités de compensation, avec un facteur potentiel étant ces changements proposés de Bâle III qui ont été initialement proposés en 2009

  2. Augmentation des coûts : Les banques de compensation restantes seront obligées d'augmenter les coûts liés au financement, à la compensation et au règlement, afin de maintenir des marges suffisantes.

  3. Effet de chaîne : Les chocs pourraient se répercuter sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, avec une augmentation des coûts pour les mineurs, les raffineurs et les mineurs.

  4. Atténuation par l'allocation : Les effets réels de Bâle III peuvent être réduits du point de vue des banques de compensation en raison du processus d'allocation décrit plus haut, mais cela pourrait tout de même entraîner des coûts plus élevés pour les clients des banques de compensation, comme mentionné précédemment.

Conclusion

De nombreux commentateurs économiques ont affirmé́ qu'avec les réglementations de Bâle III, l'or deviendra haussier. Cependant, ils ne font que considérer les règles du point de vue de la banque centrale. Bien entendu, l'impact le plus important sera l'incidence de ces règles sur les banques de compensation actuelles, car la majorité du secteur de l'or passe par ces institutions, avec en moyenne 20 millions d'onces d'or compensées quotidiennement sur le marché́ de gré à gré de Londres. Les banques centrales qui achètent des réserves d'or n'auront pas à̀ elles seules un impact significatif sur les prix de l'or, le marché́ de gré à gré de Londres contribuera également. Comme nous l'avons vu, l’impact principal de Bâle III sera la réduction de la liquidité, en raison de l'absence de teneurs de marché et de banques d'investissement, ainsi que les chocs sur la chaîne d'approvisionnement, qui se traduiront par une hausse des coûts et une érosion des bénéfices.

Par Jay Kumar - NTree International

Références:

  1. https://kinesis.money/blog/basel-iii-rules/

  2. https://www.fxstreet.com/analysis/what-will-basel-iii-rules-mean-for-the-gold-price-202012181719

  3. https://www.financialsense.com/contributors/john-butler/breaking-news-regulators-to-classify-gold-as-zero-risk-asset

  4. https://www.gold.org/

  5. https://www.nomura.com/

  6. https://www.lbma.org.uk/articles/net-stable-funding-ratio-update

 

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